En arrivant à CLE, je savais (ou plutôt je croyais savoir) ce qu’était l’illettrisme ! Mais je n’imaginais pas toutes les réalités de ce fléau.
Je n’imaginais pas toutes les souffrances, les humiliations que pouvaient faire subir l’illettrisme à ceux qui en sont les victimes ! Je n’imaginais pas le quotidien de leur vie où il était difficile de faire ses courses, de faire des démarches administratives, de retirer de l’argent, de prendre un rendez-vous, de subir les réflexions des autres, d’être obligé de trouver des stratagèmes, des stratégies pour pouvoir faire semblant de vivre normalement .
Il leur est impossible d’accéder au monde et comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent. Dans notre société basée sur l’écrit, fortement bureaucratisée, aux technologies de l’information en constante évolution, l’illettrisme a pris de nouvelles formes et englobe de fait un nombre plus important de personnes.
Non, Je n’imaginais pas tout cela. Je savais seulement la définition de l’illettrisme (qui qualifie la situation des personnes ayant été scolarisées en France mais ayant perdu ou n’ayant pas acquis une maitrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base pour être autonome dans les situations simples de la vie courante)… mais pas ce qu’il y avait derrière.Mon arrivée à CLE m’a permis de découvrir ces réalités et les mots qui vont avec : peur, honte, dépendance, manque de confiance en soi, repli sur soi, pas ou peu de vie sociale, isolement, ….
Je n’imaginais pas les réalités des chiffres :
● 12% d’illettrisme en Poitou-Charentes.
● 128 500 personnes (de 18 à 65 ans) en situation d’illettrisme (dont 113 500 ont été scolarisées en France).
● Le Poitou-Charente (12%) est au-dessus de la moyenne nationale (9%).
● Les Deux-Sèvres, pour les jeunes en situation d’illettrisme, est au 3ème rang national.
● Les hommes sont 2 fois plus nombreux que les femmes (17% contre 9%).
● Dans le domaine du travail, 1 chômeur sur 5 est en difficulté face à l’écrit (contre 1 actif en emploi sur 10)Mais au-delà des chiffres qui ont été pour moi une vraie claque, ce sont les personnes concernées qui m’interpellent : je suis persuadé qu’autour de nous, nous connaissons des gens qui relèvent de l’illettrisme et qui ont su le cacher, le dissimuler. Comment les aider à faire le chemin qui pourra leur permettra de surmonter ce handicap.
Je n’imaginais pas non plus ce que pouvait être ce chemin. Quel courage, quelle volonté, quelle abnégation, quelle ténacité a-t-il fallu à ces gens pour pousser la porte de CLE, pour surmonter leur peur, leur honte. J’ai pris là une belle leçon de courage et d’humilité.Je n’imaginais pas non plus ce que ces personnes pouvaient m’apporter. J’allais à CLE pour donner, aider, accompagner (et j’espère avoir pu le faire un peu) mais je ne pensais pas autant recevoir au travers de ces témoignages, de ces rencontres.
Moi qui ai eu la chance de pouvoir lire, écrire et en plus aimer cela, moi qui ai la conviction que la vie est faite de rencontres qui nous construisent, je ne peux accepter cette injustice de voir des gens privés de ce joyaux qu’est notre langue.
Alors, j’ai souvent entendu « c’est bien de leur faute, ils n’avaient qu’à travailler à l’école » C’est des fainéants ! » Ou encore « C’est la faute de l’école… ils n’apprennent plus rien ! » etc …. Tous ces « savants qui savent », ces « beaux parleurs qui causent » haut et fort pour cacher leur ignorance de cette réalité… je les invite à un peu plus de discernement et plus d’humilité….pour essayer de comprendre plutôt que d’accuser ou de trouver des coupables !
« La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. » Victor HugoJe ne m’imaginais pas que je pouvais en rencontrer à CLE .
Jacky Prêt, président de l’association